Quatre années de Museomix

Quatre années de Museomix, que peut-on en apprendre?

À l’échelle d’une toute petite association, il y a une évolution réelle qui s’est accomplie. En quatre ans Museomix s’est fait reconnaître par les institutions comme un partenaire crédible et fiable, en positionnant cet événement comme un catalyseur du changement au carrefour des transformations de la tradition muséale.

La démarche de “faire ensemble” est mise en jeu à chaque édition de l’événement Museomix. Le projet humain construit par Museomix bouleverse les habitudes. Des publics protéiformes renouvellent la vie muséale dans une fusion d’expériences collectives et de prototypage créatif. Sept milles personnes se sont déjà imprégnées de la contribution des museomixeurs lors des six éditions suisses de Museomix.

Une médiation personnalisée

Une leçon à tirer des ouvrages collectifs de prototypage est la diversité des représentations de la culture ancrées dans les prototypes, avec lesquels chaque public peut s’essayer à expérimenter son propre parcours du musée. Parler de chaque public n’est pas une vaine expression, puisque les enfants ont aussi leur Museomix Kids configuré pour leur ingéniosité et leur curiosité de l’art.

On retrouve dans l’ingéniosité et la curiosité un réel enjeu de médiation. Amener la présence singulière de la visite à un partage collectif, pour réintroduire dans l’espace muséal la trace du visiteur à travers les collections exposées. Cette trace peut prendre des aspects ludiques et numériques comme le prototype Escape (au Musée de la communication à Berne) ou Datacubes (sur le site ArtLab-EPFL). La trace des données sur l’expérience visiteur recèle le plus grand potentiel de développement d’un prototype. Mais l’aboutissement du prototype revient à la médiation muséale pour personnaliser les interactions avec la vie du musée.

Prototype « Escape » – Museomix Berne 2015

L’expérience visiteur au cœur des données

La tendance du prototypage propose aux visiteurs de partager leur expérience par les données quantifiant ou qualifiant leurs attaches avec la vie muséale. L’artefact de la donnée est une opportunité pour la médiation d’affiner les liens entre le visiteur-acteur du musée et la vie des collections d’art, en augmentant par les données des significations nouvelles de la visite.

Un exemple concret de ce processus de recherche et développement est fourni par le prototype Memobox. Ce dernier a été élaboré avec d’autres prototypes durant Museomix 2016 au Musée Historique de Bâle. Un vote public a ensuite été organisé durant la Nuit des Musées pour choisir le prototype le plus apprécié par les visiteurs du Musée Historique. Le projet gagnant fut «Er-Sie-Es-Zählen». Ce dispositif permet de redonner la parole au public, qui peut partager ses impressions grâce à un système d’enregistrement vocal dans un espace intimiste. Les contributions sont compilées dans un audioguide qui relaie les commentaires profanes avec les explications expertes sur les objets exposés. Il a suffi d’un apport de fonds et d’un an de travail pour que le concept du prototype Memobox devienne opérationnelle.

C’est à la charnière de la transformation produite par le prototypage que le changement intervient dans les pratiques muséales. Le réel changement que Museomix peut apporter aux musées leur est propre, c’est d’importer le modèle participatif du partage des savoir-faire dans un processus agile et efficient (lean) avec la contribution la plus diversifiée possible des compétences.

Inclure le public en amont de la vie muséale

Le musée n’est pas seulement la somme des oeuvres et des collections, c’est également les filiations que les métiers du musée établissent avec ses publics afin de produire les interactions qui pourront enrichir les expériences au-delà d’un événement ponctuel. C’est le mix de “Museo…”.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’assister à l’insolente énergie créative, à la fois drôle et pertinente, qui déploie des pratiques agiles d’inventivité et de prototypage dans un concentré de fusions créatrices entre les museomixeurs.

Le prototypage crée les opportunités pour valoriser les interactions singulières avec les objets muséaux. Cela amène les métiers de la muséologie et de la muséographie à partager l’acquisition des données de la visite en “live” avec le public, augmentant la valeur de leurs propositions muséales qui accroît en retour l’expérience métier de la médiation.

Pour proposer au visiteur d’interagir avec son parcours muséal au-delà de la visite, il suffit que le visiteur performe le prototype dans le sens des données que l’on veut exploiter. C’est-à-dire en mettant au profit de l’expérience de la visite les interactions dans la vie muséale pour partager avec la médiation les méthodologies de la remédiation, telles que la trace des données.

Subvertir le conformisme

Chaque événement des six éditions de Museomix CH est aussi une opportunité d’apprentissage continue. Une sorte de multiples univers de savoirs possibles dans un espace de compétences et de connaissances. La technologie du prototypage engagée dans l’événement ne devient alors qu’un prétexte pour que toute la collectivité bénéficie de l’ingéniosité des museomixeurs, en particulier vers les plateformes culturelles mais aussi vers la cité.

Museomix est un carrefour au croisement et en même temps à l’éclatement des sphères publiques. La promesse du « public acteur du musée » est une provocation pour subvertir les pratiques de la transformation numérique, en associant des compétences complémentaires mises en commun par les participants.

En effet, le public dispose déjà de la technologie mais il n’en a pas forcément les clés. En faisant intervenir “makers” et “fablabs”, les museomixeurs désacralisent la technologie en introduisant les méthodes de prototypage rapide dans les musées. Les collaborateurs des institutions élargissent leurs réflexions avec des acteurs externes et des experts d’autres domaines, pour éprouver de manière tangible les pratiques participatives. Grâce à ces complémentarités, le public se rapproche des contenus tout en apprivoisant les dispositifs de médiation.

Incarner des valeurs participatives

Pour autant cet événement multivers n’inclurait pas une multiplicité d’acteurs sans les repères de valeurs fiables pour guider la finalité sociale et innovante de la créativité. La facilitation des interactions entre les participants crée la dynamique participative qui effectue la jonction des processus au croisement des technologies avec les arts, les sciences et le plaisir de porter une réalisation unique.

Le message de Museomix porte à être acteur et usager des dispositifs de l’événement. Avec des valeurs fortes de contribution, partage, collaboration et inclusion, Museomix a su placer l’humain au coeur de l’expérience muséale. Les gens tissent du lien et inspirent des dynamiques créatives au sein de mouvements open source, dans un écosystème culturel et engagé avec les acteurs de la médiation muséale.

Conclusion

Les musées en Suisse font preuve d’un grand dynamisme. Pourtant le prototypage en trois jours est une expérience collaborative et rapide au sein du musée, là où les processus sont souvent longs et hiérarchiques. Museomix vient démontrer qu’il existe d’autres modalités de travail inspirantes pour toute la vie muséale. L’expérience de Memobox marque un changement qui fait entrer dans les moeurs l’appropriation de l’expérience visiteur.

Museomix est né dans ce contexte. L’événement montre qu’il est possible de créer une médiation culturelle participative en s’inspirant des pratiques de l’innovation ouverte. Ce modèle offre aussi des marges évolutives pour inventer d’autres formats de créativité appliquée. En innovant les modèles de médiation, les organisateurs et membres de Museomix montent en compétence, ils explorent des domaines nouveaux et initient des collaborations créatives avec les institutions. Expérimentons maintenant ensemble les confluences du « deviant museum » et le tiers-lieu des remédiations possibles.

Yvan Nicolet – Leïla Bouanani

Article paru à l’origine dans la publication « Share Medientechnologie und Kulturvermittlung » – Christoph Merian Verlag – Haus der elektronischen Künste Basel (Hg.)

ISBN: 978-3-85616-881-0